hedone-restaurant-toulouse


A Toulouse, le jeune chef Balthazar Gonzalez a concrétisé à l’été 2018 l’ambitieux projet du restaurant HEDØNE, qu’il a ouvert dans le quartier de la Côte Pavée. Un concept total, entre haute gastronomie et pari démesuré. Sans nul doute, la décennie qui s’achève aura été à Toulouse celle de l’éclosion d’une nouvelle scène culinaire, d’une autre proposition gastronomique. Un renouveau porté par des chefs plus jeunes, sans complexes, conscients que les carrières de leurs brillants aînés, trente ou quarante ans derrière les fourneaux d’un même établissement, appartiennent au passé. Au sein de cette génération émergente, la trajectoire de Balthazar Gonzalez, qui a ouvert à l’été 2018 le restaurant Hedone, illustre la fougue et les ambitions impatientes qui caractérisent souvent les chefs frais émoulus, surtout quand on leur répète inlassablement qu’ils ont du talent.
Après tout, il n’y a pas une minute à perdre. En deux décennies, les cadres et les repères ont explosé. Pas encore   trentenaire, Balthazar Gonzalez est de cette classe qui s’est construite dans le déferlement de la cuisine spectacle, de la starification des chefs et de l’orgie du foodisme télévisuel. Une époque qui marque aussi la fin de l’utopie moléculaire, cette fameuse gastronomie techno-émotionnelle déjà poussiéreuse, reléguée aux archives après avoir tant fait couler d’encre. Rien ne dure. Donc inutile d’attendre.


hedone-balthazar-gonzalez


A 15 ans chez Robuchon
En dépit de ses airs juvéniles et de ses allures d’homme pressé, Balthazar Gonzalez a déjà passé plus de la moitié de sa vie en cuisine. Un apprentissage réalisé à Paris chez Joël Robuchon (La Table de Joël Robuchon), puis chez Pierre Lecoutre (Le Dôme du Marais), au milieu des années 2000. « C’était très dur. Je rentrais la nuit après des journées éreintantes. J’arrivais chez moi, je chialais direct. J’avais 15 ans, j’étais entouré d’une brigade de vingt cuisiniers, tous plus âgés que moi. Ça m’a forgé » confie-t-il.
Après divers crochets, notamment par la Côte d’Azur (L’Oasis des frères Raimbault et les Caraïbes), le voici qui débarque à Toulouse en 2012. Les frémissements culinaires de la nouvelle vague commencent à s’y faire sentir. On parle de bistronomie, de vins naturels. Depuis quelques années déjà, Le Tire-Bouchon, Le Temps des Vendanges ou encore Vinéa ont ouvert des brèches, allumé des feux nouveaux dans un paysage toulousain qui brillait surtout par sa routine et son immobilisme. Balthazar fraye dans le microcosme des becs fins locaux, fait des rencontres, et notamment celle de Simon Carlier, autre jeune pousse, chef du Solides, dont il sera le second pendant un an.


Prise de risques
L’épisode déterminant, la rampe de lancement, c’est toutefois le Bàcaro, aux côtés de Manuel Garnacho. Derrière les fourneaux de cet établissement chic qui dès son ouverture en 2016 s’impose comme une des toutes meilleures adresses de la ville rose, le jeune aspirant s’illustre à la vitesse de la lumière. Sa maîtrise et sa manière sont tout de suite remarquées. Les guides, Fooding en tête, détectent la pépite. Partout en ville, on parle de la cuisine de « Baltha’ ». La mélodie toujours flatteuse des félicitations fait progressivement germer l’idée d’un nouveau projet. Le titre de « Jeune Talent Gault & Millau » catalyse ce désir débordant. Le concept sera total, sans concession, et la prise de risques devient un exercice quotidien, comme en témoigne le choix de s’excentrer dans le quartier résidentiel de la Côté Pavée, se privant peut-être d’une clientèle toulousaine jugée casanière. Balthazar Gonzalez s’entoure alors de trois associés et travaille de concert avec l’architecte Stéphane Deligny pour concevoir l’intérieur du futur restaurant.
Le nom de l’enseigne se met à circuler sur les réseaux sociaux (Hedone : plaisir en grec ancien), en même temps que les images de synthèse de l’immense table ovale en chêne, d’une capacité de 12 couverts. Là encore, un pari. « Dans cette histoire, plus de gens auront essayé de me dissuader que de m’encourager. J’en ai fait pas mal d’insomnies. Mais c’est vrai que je ne me suis pas facilité la tâche » dit-il aujourd’hui, sans rancoeur aucune, ni remords.


Au cordeau
Août 2018. Après des mois de travail millimétré, Hedone livre son premier service. Les quelques foodistes déjà rentrés de vacances courent découvrir la cuisine ouverte (évidemment), avec ses quatre couverts au comptoir, mais surtout la salle, qui baigne dans son atmosphère feutrée, son élégance à la fois sévère et délicate. Du contre éclairage au tempo du service, de la verrerie haut de gamme à la carte des vins en cuir pleine fleur, gaufrée au nom de la maison, Hedone soigne le détail, rend visible le jusqu’au-boutisme de la démarche, la cohérence générale du propos. A propos de cohérence, la cave d’Hedone, avec les 250 références dont le sommelier Rémi Basson a la charge, est une synthèse d’audace et de classicisme.
A table, le parti pris pour la formule du menu unique se plie peut-être trop volontiers à l’air du temps, mais lorsque les assiettes arrivent, leur extrême précision et le travail qui en émane reflètent trop de convictions pour laisser insensible. Il faut de surcroît observer le labeur journalier de l’équipe réduite (Balthazar Gonzalez, Rémi Basson et Alexis Gonzalez), qui désosse un quartier, pare une pièce, étamine des carcasses, filtre un jus, le fait réduire etc… pour comprendre réellement de quoi l’on parle. Huit envois le midi à 48€ (pour huit personnes minimum), une dizaine de séquences le soir, pour un menu à 78€.
Avec un menu en rotation complète toutes les six semaines environ, est-ce vraiment utile de citer des plats ? Quelles sont vos chances de croiser le foie gras poêlé / bouillon dashi / huile de homard / carottes / feuilles et fleurs de basilic réglisse, les noix de Saint-Jacques fumées / oeuf de brochet / tapioca et petite quenelle de crème, ou encore la poêlée de cèpes / médaillon de lotte / ris de veau / truffe d’été / jus de viande corsé ? Quoi qu’il en soit, cette façon très contemporaine d’intituler les plats en dit finalement beaucoup et très peu.
Reste qu’il y a chez Hedone cette conscience que la gastronomie actuelle, dans son registre altier, doit être une expérience intégrale, servie par une cuisine au cordeau. Une cuisine au cordeau, mais sans filet, à tombeau ouvert.


Nicolas Rivière


HEDØNE
2, impasse Saint-Félix. 31400 Toulouse
05 82 74 60 55 – www.hedone-restaurant.fr
Crédits photos : Marine Arborio (photo d’introduction), Spatule Prod’


 

hedone-restaurant


hedone-balthazar-gonzalez


mise-en-bouche-restaurant-hedone-toulouse